Note publique d'information : Quel que soit le genre investi, Rousseau privilégie dans chacun de ses ouvrages un
mode d'énonciation, le discours, par opposition au récit, ce qui lui permet de s'adresser,
le plus directement possible, au public qu'il cherche à convaincre, et à donner à
chacun de ses écrits le caractère d'un engagement solennel et définitif. La préférence
exclusive pour le plan d'énonciation " embrayé " correspond d'abord à l'élection d'un
genre antique, la rhétorique : le discours oratoire est voué à la transmission de
la vérité morale, politique et philosophique, par opposition à la littérature, vouée
à la fiction mensongère. L'élection de la rhétorique, qui surplombe et enveloppe tous
les ouvrages, même s'ils relèvent en apparence de genres différents, s'explique aussi
par la volonté de revenir aux sources du langage et de défendre une conception naturelle
de la parole où dominent la subjectivité, la spontanéité et l'émotion. Ainsi l'éloquence
rousseauiste côtoie-t-elle paradoxalement la poésie, prépare la renaissance du lyrisme
et annonce le romantisme. Au-delà de la scène générique antique et naturelle, en liaison
étroite avec l'exigence de vérité et de vertu inlassablement proclamée, l'auteur instaure
cependant une scénographie de rupture avec l'opinion dominante et de communion avec
un vaste auditoire humain soustrait aux préjugés qui pervertissent la société. Arrogant,
impétueux, sûr de ses " valeurs ", il construit, au fil des œuvres, un ethos d'avocat
du genre humain et de prophète solitaire, acharné dans le combat nécessaire mais
désespéré contre l'imposture triomphante. La parole est, dès le départ, une parole
" pamphlétaire " dénonciatrice du scandale dominant, et refusant tout compromis. Le
penseur ne tarde pas affronter l'opprobre d'une génératioentière et à devoir se justifier
des crimes qui lui sont imputés : l'entreprise autobiographique, qui occupe la seconde
partie de sa carrière, représente les ultimes conséquences de la logique pamphlétaire.
Dans ce discours destiné à servir la cause de l'humanité, et conçu comme un dialogue,
il reste paradoxalement peu de place pour un interlocuteur. Le destinataire est invité
à se soumettre ou à s'identifier au locuteur illuminé par la vérité. La certitude
conduit à un certain terrorisme discursif et à diverses formes de manipulation. Le
lecteur, séduit, accepte de " communier dans la différence ", sans s'apercevoir qu'il
consent, en devenant l'alter ego de l'auteur, à sacrifier son indépendance et son
esprit critique. On peut même voir dans la relation établie avec le lecteur une sorte
de jeu pervers destiné avant tout à protéger Rousseau de toute confrontation avec
l'altérité menaçante.